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Le Discours d’un roi : Présence(s) de l’utopie


Action, actes, entracte…


Derrière le verre, les affiches numériques des films numérisés aguichent les passants, et l’on songe sans peine au marché mondialisé, où tout s’achète, où tout se vend, voici pourquoi, voici comment, même camelote à l’autre bout de la planète, imaginaire privatisé à tort avec notre complicité, et l’on pense à part soi aux prostituées néerlandaises dans leurs vitrines urbaines, plaisirs d’amour tarifés, extases téléphonées.

Triste exotisme ! Peu faramineuses fictions ! Redoutable révolution avortée du désir, et d’un cinéma qui ne s’abaisserait pas à cela, qui refuserait de toutes ses forces puissantes les compromissions avec les régimes d’oppression, d’images-enfantillages, de longs métrages-babillages !

Te voici vieux de plus d’un siècle et tu ne grandis que par hasard, à-coups, presque contre ton gré : art populaire et alchimique, quand donc te décideras-tu enfin à resplendir en adulte, dans la maturité de ta joie sauvage, impitoyable, savante et solaire ?

Quand te mettras-tu à rire, à nous faire rire, avec la maladie, la mort, la perte, seuls sujets qui méritent qu’on les traite ?

Où puiseras-tu, sinon en toi, ici et maintenant, la magie d’un visage, la splendeur d’un paysage, l’élégance d’un découpage, monté une fois pour toutes et pourtant à chaque fois différent, sur le rythme de la vie furieuse et tendre, sur la pulsation sonore, ravissante et terrifiante, du cœur du monde ?

Salles et âmes remplies d’ordures, démissions d’enfants disgraciés, disgracieux, sourds ou muets, rêves puérils et vies ratées : comment transformer ce désastre en couronnement, autrement que par l’exercice d’une indépendance et d’une ambition aussi infinies que le ciel orné d’étoiles, à faire pâlir celles de l’écran spectral.

Nous aspirons à un brasier tandis que l’on nous vend des flammèches, nous invoquons une métamorphose radicale, sans retour – pas de place pour la peur ni le demi-tour – et l’on nous concède, du bout des lèvres seigneuriales, des jeux de rôles autour du genre, du sexe, du pouvoir.

Inutile de chercher refuge et du secours dans le passé décomposé, dans les formes charmantes d’antan, dans le sortilège métaphysique du noir et blanc.

Réalisateurs et spectateurs, les uns avec les autres, reflétés pour de vrai, quittez votre inconfortable zone de confort, sortez de votre cerveau, descendez dans la rue et descellez les pavés avalés en couleuvres, en couleurs, en plastique dit démocratique, depuis mille décennies.

Ne quémandez plus les aides étatiques ou privées, ne soumettez plus vos récits dévorants, exigeants, mutants, à des officines de routine et d’approbation.

Gardez-vous de remercier, ne saluez pas, cessez de vous courber jusqu’à toucher terre, dans laquelle nous finirons tous, certes, rongés par les vers survivant à tout, même au désespoir, quand vous devriez plutôt tendre vers le zénith, vers l’acmé, vers l’insaisissable envisagé au quotidien.

Vous n’écoutez pas une incantation, vous ne subissez point un manifeste, et l’on ne prise guère les petits divertissements littéraires, et de quel droit donner des conseils, proférer des exhortations ?

Pareillement nous souffrons et collaborons, identiquement nous trahissons nos idéaux, nos natures, notre langage, ceux d’autrui, inamical ou fraternel, mais il nous reste au creux des reins, sur le bout de la langue et au fond de nos poumons le souvenir du soleil, de la mer, du sable et du sel, de la pellicule qui brûle les yeux et l’esprit, de la chair amorale qui s’abandonne et ravit, de l’ardeur de vivre et regarder autrement, au présent, pas après notre mort, durant des lendemains chantant faux.

La révolte ne suffira pas, le soulèvement des hommes et l’ouverture des femmes ne contenteront que les plus impatients.

Que périsse cette structure immature, que s’effondrent les capitales de la capitulation, que crève cet art supposé septième, puisqu’ils nous rendent l’existence infernale, haïssable, infréquentable.

Prenez les films célébrés ici, souvent imparfaits, parfois suprêmes, toujours dignes d’être textuellement traduits, en manuels de guérilla, en leçons de choses appliquées.

Considérez ces millions de plans à l’instar d’une ou deux réponses, une ou deux pistes, un ou deux refus affirmatifs.

Une écriture lyrique et politique ne se justifie que dans sa disparition, carburant destiné à se détruire dans l’invite, l’énergie, le beau feu du sacrifice ironique aux dieux morts, aux idoles défuntes, aux veaux d’or étranglés de la modernité.

Savez-vous pourquoi les couloirs des multiplexes regorgent d’extincteurs ? Pour vous protéger de vous-mêmes, de vos dangereux et radieux embrasements, du saccage de la toile blanche avec le sang frais de votre gorge, l’encre laiteuse de votre sexe, l’humeur scintillante de votre iris sectionné.    

Pratiquez l’insurrection cinéphile, osez filmer la mort en face, quitte à user d’artifices de farces et attrapes, capturez le ravissement d’une femme au moment où elle défaille, laissez couler les larmes de vos personnages insufflés, pas manipulés.

Ne nous prenez pas trop au sérieux mais surtout au pied de la lettre, dépourvus du filet lexical des métaphores, gueuleton dégueulasse des artistes de salon, l’autre soir, aux Césars, aux Oscars, une bande de connards dérisoires en costards noirs, une rangée d’utérus endimanchés dans leurs robes du soir et leurs rires obscènes d’héritières, leurs pleurs de crocodiles célèbres.

Imaginons une inversion de règne, un renversement de royaume, les maîtres maintenus par les esclaves chus au même point de vue : au coin du feu, les chiens ne racontent plus des histoires mythiques à propos d’humanité autrefois dominante, mais les ombres de l’écran chuchotent au sujet du public évanoui, évaporé, enfui.

Sur les sièges vides, dans le silence velouté de l’antre désert, les silhouettes ne projettent aucune ombre, et les paroles polyglottes n’impactent nulle oreille humaine ; avènement des songes mécaniques, épiphanie électronique ou maltaise, spectacle permanent à guichets définitivement fermés.

Ainsi va le labeur du mineur dans sa mine forée à la pointe d’une mine numérique, car dans chaque utopie réside la tumeur d’une dystopie, dans chaque projet la séduction d’un massacre, dans des appels au meurtre bienveillants la lame tangible d’un coutelas.

Des files d’adeptes célébrant une messe finie depuis longtemps, des files de rationnement dans la guerre douce du virtuel, des files de cadavres entassés dans les sarcophages des témoignages reconstitués, et tout au bout de l’allée, Eurydice rejouant son strip-tease, pantalon baissé de la pensée, onanisme du capitalisme sacralisé en horizon ultime, annexant les alternatives, les chemins de traverse, les dissidences inoffensives.

La gueule des opposants, cependant, et la portée infime de leurs ressassements, de leurs ressentiments, ne laissent pas d’espoir sur ce bord, et une fois l’opium des chapelles profanes dissipé, quoi donc à se mettre sous la dent aiguisée, jamais rassasiée de promesses, d’ivresses, de tours de manège dernier cri ?

Un soupçon de passion, de lucidité, de rage et de partage, essayons cela, au cinéma et dans la supputée réalité, concorde provisoire de subjectivités synchrones – malheur à celui par qui le scandale épistémologique arrive, qui s’écarte de la doxa, qui n’assimile pas que rébellion = récupération ! –, film analogique soumis à des sauts imprévus, les griffes du mécanisme existentiel pouvant louper la perforation de l’unisson.

Oui, finalement, alors que la nuit tombe sans bruit sur la ville provinciale, dans cet hiver méconnaissable, félicitons-nous de nos faillites, réjouissons-nous à nos funérailles.

Le temps de changer, de se réveiller, de rugir et de serrer dans ses bras, se conjugue à l’indicatif, à l’envie, à l’arraché, foyer vif à nouveau volé afin de nous éclairer a giorno, de nous obscurcir contre l’aveuglement, de cautériser nos blessures – le meilleur reste à conquérir, à l’intérieur, en solitaire, à plusieurs, la fenêtre aventureuse ouverte au grand air.  
                       

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